Collectionneurs invétérésIls sont des dizaines de milliers en Suisse à amasser timbres ou opercules, une passion somme toute normale… tant qu’on s’en tient au raisonnable. Rencontre avec trois d’entre eux.
Une collection est une réunion d’objets choisis pour leur beauté, leur rareté ou leur particularité, dit le dictionnaire. Collectionner fait partie de la construction identitaire, selon Philip Jaffé, psychologue. Un collectionneur est «souvent un artiste, de par les choix qu’il opère, dans la sélection des pièces».
Qui collectionne quoi? Tout d’abord la fin d’un cliché: les hommes collectionnent tout autant que les femmes. «Mais ils collectionnent pour des raisons différentes. Les hommes le font plus pour le statut social, le prestige, par les montres ou les voitures. Les femmes recherchent la satisfaction personnelle et conservent plutôt les dés à coudre.» Au début, c’est gratifiant, explique le professionnel. Cependant, parfois, on ne peut plus s’empêcher de collectionner et l’on craint de manquer une perle rare. L’addiction s’instaure. «Il y a des liens neurologiques avec les dépendances à l’alcool ou à la drogue.»
L’entourage dit stop
Heureusement, rares sont les cas où la dépendance prend le pas sur la passion. Et ça se soigne, comme on traite un comportement compulsif. «Mais beaucoup de gens savent se modérer et le font par la force des choses. L’autorégulation passe aussi par l’entourage qui y met le holà.»
Chez les Zuppiger, à Genève, on est collectionneur. Ensemble, ils accumulent les bandes dessinées. En plus, Monsieur aime les figurines de Starwars, Madame les Barbie.Les six cents petites poupées de Fabienne Zuppiger ont entre 1 et 50 ans. Noires, blanches, en robe de soirée ou en sous-vêtements coquins, elles trônent dignement au-dessus des étagères de BD.
Toutes les petites filles ont possédé des poupées, pourtant, toutes ne deviennent pas collectionneuses. «Je passais des heures à les habiller et les coiffer. Ça s’est calmé à l’adolescence, puis, avec mon premier salaire d’apprentie, je m’en suis offert une.»
Et c’est parti pour une passion qui va prendre de l’ampleur avec l’arrivée d’internet et les contacts qu’elle noue à travers le monde. Elle saute de sites de vente aux enchères en espaces de discussion, avant de créer son propre forum. «J’ai juste arrêté dans les années 80. Toutes les Barbie avaient la même tête, un blond standard», estime la Genevoise qui a créé des fiches.
Un hobby qui a un coût
Chaque année, Mattel sort deux séries de poupées: les unes destinées aux petites filles, les autres à leurs grandes sœurs. La jeune femme demande alors à un membre du fan-club américain de lui en procurer plusieurs, pour elle et ses amies collectionneuses. «Le grand problème, c’est la spéculation. Sur les sites de vente aux enchères, les prix explosent parfois.» La toute première barbie de 1959 vaut aujourd’hui 15 000 francs. «Cette passion devient chère pour mon budget limité. Je paie en moyenne 100 à 120 francs par pièce», confie Fabienne Zuppiger.
Ses deux filles adolescentes partagent sa passion à leur manière. L’aînée aime les petites poupées de style gothique, la seconde est fan des petites représentations du film Twilight. «J’ai envie de leur dire non, pour que ça ne vire pas à l’obsession. Car on n’en dort plus la nuit, on en veut toujours plus. J’ai dû me désintoxiquer, ne plus vouloir tout avoir, mais fonctionner par inspiration.»
Le regard des autres, elle s’en fichait il y a vingt ans. «Mais à 40 ans, cela devient difficile de faire comprendre ma passion. J’ai reçu pas mal de réactions désagréables. Quand je trouve une Barbie que je voulais depuis tellement longtemps, je voudrais le crier à tout le monde, mais je ne peux pas, alors je le crie sur mon forum.»
Texte Mélanie Haab / Photo Pierre-Yves Massot / arkive
https://passiondepoupees.forumactif.comDes panneaux de randonnée plein le garage
Martin Chaignat est le chef technique de la section jurassienne de Suisse rando (ancien Tourisme pédestre suisse). Les petits panneaux de randonnée jaunes qui indiquent les directions et les temps de parcours, c’est lui et la dizaine de responsables de secteur. Soit 3400 écriteaux, 7000 flèches et 10 000 losanges. De 2003 à 2009, il a arpenté deux fois par année les 1200 kilomètres du réseau. «Il a fallu changer tous les panneaux abîmés ou vandalisés, raconte-t-il. J’ai récupéré les plus intéressants d’entre eux.»
L’un a été proprement canardé au revolver, l’autre tagué. Un troisième est tordu. Les autres sont témoins de leur temps. Si la couleur jaune, propriété de Suisse rando, demeure, le matériel a fortement évolué: d’abord en bois, puis recouvert d’une plaque de tôle, puis enfin en alu. Martin Chaignat raconte volontiers l’histoire du tourisme pédestre, à travers les panneaux.
A côté de cette galerie dont ne rougirait pas un musée, l’alerte retraité de 76 ans a conservé des trésors, comme cet écriteau datant de 1930 en bois, qui indique le Jaunpass à une heure de marche. Car avant d’être à la tête de la section jurassienne, Martin Chaignat a œuvré pour celle de Berne (près de cent bénévoles).
Il tient dans sa main le dernier-né des écriteaux, qu’il doit aller fixer tantôt. «Avant, il me fallait six clés pour réparer un panneau. A présent deux suffisent. Je ne peux plus me promener sans m’arrêter à chaque panneau, à me dire: «Tiens, ils le fixent comme ça eux», à passer un coup de chiffon dessus…», sourit l’habitant des Genevez (JU).
Plus de 70 000 étiquettes de vin
Plus de 70 000 spécimens! Michel Conus étoffe sans discontinuer depuis vingt-cinq ans sa collection d’étiquettes de vin. «Il en existe tellement que j’ai choisi une spécificité: les étiquettes des vins vaudois et valaisans.»Sa plus belle pièce, sa plus grande fierté, c’est cette étiquette de 1895, encore collée à la bouteille, qu’un vigneron lui a donnée (vide). «Certaines ont une grande valeur sentimentale, je ne les échangerais pour rien au monde!»
Sa passion a commencé avec des amis: «On faisait des dégustations à l’aveugle. A la fin de la soirée, je découpais l’étiquette et notait derrière les caractéristiques du vin. Peu à peu, j’en ai fait une collection.» Au fil des ans, le mécanicien-électricien retraité a mis sur pied une véritable systématique. Tout est classé par ordre alphabétique: les villages d’abord, puis chaque vigneron, de A à Z.
Dans sa maison de Lonay (VD), il a créé une petite installation pour mieux parvenir à décoller les étiquettes: il les laisse tremper dans l’eau quelques heures, puis fixe fermement la bouteille sur une planche fabriquée par ses soins, et décolle délicatement le papier à l’aide d’une lame de rasoir. «Quand mon épouse cuit un gâteau, je profite de la chaleur du four pour y mettre les bouteilles, en dix minutes, les bords se détachent très bien.»
Mais il y a une ombre au tableau: les nouvelles étiquettes sont autocollantes. Elles ne se récupèrent plus si facilement.Michel Conus possède aussi d’autres trésors, plus éloignés de sa thématique fétiche: une étagère entière de classeurs est dévolue aux étiquettes sur lesquelles sont représentés des animaux. Sur une autre, des thématiques particulières comme le vélo, Heidi, les cuvées spéciales ou encore les œuvres d’art, peintes à la main. «Je tiens le journal bimestriel de la Confrérie de l’Etiquette, alors j’ai besoin d’avoir un peu de tout, pour pouvoir les publier.»
Au sein de cette confrérie – dont la devise est «Je déguste puis je décolle» –, huitante membres allant de l’ouvrier à l’ingénieur s’échangent les doublons à la manière des vignettes Panini, une fois par mois. «La seule règle, c’est qu’on n’échange jamais une pièce contre de l’argent.»
Michel Conus raconte et raconte encore. La fois où il a découvert une porte de cave placardée sur les deux battants, du sol au plafond, d’étiquettes anciennes. «Le vigneron me l’a prêtée, il m’a fallu quinze jours pour récupérer les étiquettes. L’une après l’autre, je les humidifiais à l’éponge, je ne pouvais pas tremper toute la porte dans l’eau!»
Certaines sont craquelées à cause du bois qui a travaillé. A l’aide de brucelles, il enlève délicatement, morceau par morceau les papiers et les recompose dans ses classeurs. Un vrai boulot de passionné.
La Confrérie de l’Etiquette met sur pied une exposition-concours au Musée de la vigne et du vin au Château d’Aigle dès le 24 avril.
www.confrerie-etiquette.chwww.chateauaigle.ch Migros Magazine